Souvenirs

 

carte de Djibouti
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Djibouti, pays mythique, c’est là que je débarque en mars 1977, j’ignorais ce jour-là, que ce pays allait me marquer à vie. Sur cette partie de L’Afrique, surnommée la Corne ( al oueb) où le poète Rimbaud, abandonné des muses chercha fortune, trafiquant d’armes, commerce de café, il n’y trouva que l’aventure. Pour Monfreid, l’écrivain, l’aventurier, le navigateur, cette partie du monde n’avait aucun secret. Leurs points communs, le respect de ce pays ainsi que celui de ces habitants. Rien ne me prédestinait à débarquer sur cette terre aride. Tout commença sans aucun doute, cette journée d’hiver lorsque je poussais les portes du bureau de recrutement, mon but, devancer l’appel. L’attente interminable dans l’immense couloir de cette ancienne caserne tandis qu’à l’extérieur soufflait le vent d’hiver. Sur les carreaux des fenêtres s’écrasaient les premiers flocons. Le ciel était gris, le monde me semblait triste, j’avais besoin de nouveaux horizons. C’est ce que compris immédiatement l’homme qui me reçut, le sourire colgate, un uniforme parfaitement repassé, plissé, il me fit penser à un VRP prêt à tout pour vendre son produit. Avec moi, aucune difficulté, j’étais le bon client, un peu de blabla, une carte du monde, des noms d’îles lointaines, le soleil, les palmiers, l’aventure, les arguments ne lui manquent pas. Bref, je signe les yeux fermés un engagement pour dix-huit mois. Viré du lycée, viré de mon boulot, j’en ai marre, je veux partir, tout plaquer. Je sors d’ici le cœur serein et ne sens plus la morsure du froid, mon esprit est déjà ailleurs là-bas … bien loin !

Ma première impression fut un dépaysement total. Les deux premiers mois ma promenade quotidienne fut la place Ménélik, puis en juin je fis la connaissance de « Mimile » caporal chef de son état, il connaissait Djibouti comme sa poche. La ville, m’apparut sous un jour nouveau, j’ai appris à connaître. En 365 jours on en apprend beaucoup sur un pays. Eh oui, nous sommes aujourd’hui le 17 mars 1978 et dans huit jours, j’aurai un an de territoire. Ces 365 jours, je les ai comptés un par un, ce qu’ils ont pu me sembler longs, pourtant maintenant …
Maintenant, lorsque je regarde derrière moi, je vois un gosse de 18 ans venant de quitter les jupons de sa mère, débarquant d’un 747. Et un an ce gamin a changé, pas physiquement, mais moralement et je me souviens…

Dans ces quartiers j’y ai vécu, dormi, mangé, brouté le khat, dans des baraques faites de tôle, de cartons et de bois. Ils m’ont accepté, car j’ai tout partagé avec eux . Un jour, dans un bar miteux, une fille m’a demandé ma nationalité, elle ne comprenait pas, « tu vis avec nous, tu manges avec nous, tu parles notre langue, tu es des nôtres ! » me dit elle, pour elle je ne pouvais pas être français. Et pour moi, c’était le plus beau des compliments.
Cela fait plus de trois mois que je suis sur le territoire, l’indépendance se profile à l’horizon, celle-ci est prévue pour le 27 juin 1977. En ville les premiers drapeaux fleurissent aux fenêtres. La tension monte légèrement, en France on parle de Djibouti comme d’une poudrière, la corne fait la une des journaux. Les parents, les amis s’inquiètent, les lignes téléphoniques saturent, mais ici la perception des choses est différente.
C’est après demain que le référendum a lieu, malgré cela, la population est très calme. Par mesure de sécurité les compagnies de combats seront en alerte et tous les militaires sont consignés du 7 mai à 20h au 9 mai à 5h. J’espère tout se passera bien! Le soir du référendum je suis de garde à l’arrière du camp, seul, nous sommes tous un peu nerveux, l’ordre est de tirer à vue, un bruit m’intrigue, je mets en joue, il fait nuit, dans ma ligne de mire un chat, juste un chat et une grosse frayeur pour lui et moi.
27 juin 1977, la ville est en ébullition, ce soir le TFAI deviendra une République. À minuit, résonne le bruit des canons tirés depuis les navires positionnés au large, dans les rues des bruits d’armes automatiques retentissent, quelques askaris un peu excités sans doute. Une République vient de naitre.

Nous sommes à quelques semaines de Bazeilles et nous devons défiler. Par malheur pour moi je suis du lot. On nous fait travailler notre chorégraphie ainsi que nos tenues. Pour moi ce n’est pas du facile et ce n’est rien de le dire ! évidemment je me suis présenté avec des rangers cirées à la va vite. Cela ne plait pas du tout à notre sergent chef. Et celui-ci veut marquer le coup en m’obligeant à cirer les pompes des copains, bien sûr par fierté je refuse et ce gros con prend la mouche et sort son arme, il me braque. Je me dis que malgré les temps qui courent, même si une certaine tension plane sur le pays l’arme n’est sans doute pas chargée et en admettant qu’elle y soit ! il ne tirera pas. Je me pose trop de questions en quelques secondes, je suis impressionné et ne brille pas. J’ai fini par cirer les chaussures, mais je n’ai pa,s défilé !

Le 15 décembre 1977, un commando lançait deux grenades dans ce restaurant fréquenté par des militaires français, bilan : six morts, trente-deux blessés. La soirée s’annonçait plutôt agréable, au programme une descente au Tokyo bar, je pense que cela rappellera des souvenirs à certains. Enfin bref ! après avoir bu un planteur au Tropicana, nous traversons la place Ménélik pour se diriger vers le Quartier 2, mais à peine arrivés à la rambarde, nous sommes surpris par une coupure générale, suivi immédiatement de plusieurs déflagrations. Retour rapide sur la place, la foule s’agite en tout sens. Un type que je connais, se dirige vers moi en titubant, je me dis qu’il n’a pas du sucer que des glaçons et s’écroule dans mes bras, il a le dos en sang, le palmier à sauter, me dit-il. Refusant d’être conduit à l’hôpital militaire, nous le chargeons dans un taxi pour le déposer au Héron. Puis nous retournons en ville, direction le ciné, je me souviens encore du film, « le bison blanc ». La PM nous cueillera à la sortie, je finirai ma nuit en tenue de combat et mon arme comme compagne à défaut d’une naya.

(Djibouti 1977)

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